Contaminé à l’amiante et par d’autres substances dangereuses, le bâtiment construit par la France, rebaptisé « São-Paulo », avait été envoyé par le Brésil vers le port d’Izmir. Après d’intenses mobilisations citoyennes, le ministre de l’environnement turc a finalement annulé son autorisation d’importation.

Construit en France au début des années 1960, le porte-avions Foch, frère jumeau du Clemenceau, a servi dans la marine française pendant trente-sept ans avant d’être vendu au Brésil en 2000. Le bâtiment vieillissant exigeait de nombreuses réparations et des coûts d’entretien élevés : la marine brésilienne finit par décider de sa mise hors service en 2017. Parti de Rio de Janeiro le 4 août, le navire avait accompli sa traversée transatlantique et devait arriver le 10 septembre. Acquis par la compagnie turque SÖK Denizcilik, il devait être amarré dans le port d’Izmir, sur la zone d’Aliaga, spécialisée dans le démantèlement de navires.

L’amiante constitue un problème majeur de santé publique et de santé au travail : ce matériau aux multiples qualités s’est révélé hautement toxique. Il a été massivement utilisé et le nombre de cancers qu’il a induit ne cesse d’augmenter. Interdit en France depuis 1997, il reste présent dans de nombreux bâtiments et équipements. INRS

« L’annulation du ministère turc résulte très directement de la mobilisation citoyenne de ces dernières semaines », se félicite l’avocat Arif Ali Cangi, membre du collectif d’associations écologistes et de chambres professionnelles d’Izmir ayant lancé une action en justice contre le ministère. « Il y a deux jours encore, le ministre affirmait que le bateau était propre ! » rappelle-t-il.

Si les sept associations locales et la quarantaine de particuliers à l’initiative de la plainte considèrent cette décision comme une première victoire, « le combat ne s’arrête pas là », assure l’avocat. Il s’agit désormais de renvoyer le « bateau de la mort » vers le Brésil, mais la responsabilité est partagée avec d’autres pays : « La France, en tant que constructeur, a une responsabilité. La Hollande également, puisque c’est avec un remorqueur battant pavillon des Pays-Bas que le porte-avions est tracté. Il ne doit surtout pas passer le détroit de Gibraltar ! »

L’inventaire des substances dangereuses, préalable à l’exportation, a été effectué par l’entreprise Grieg Green. Or, l’ONG Greenpeace Turquie dénonce un rapport partiel qui ne couvrirait que 12 % du bâtiment. Un tel transfert constitue, selon les organisations, une violation de la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et du protocole d’Izmir relatif à la prévention de la pollution de la mer Méditerranée.

« Le porte-avions présente les mêmes caractéristiques que le Clemenceau [qui contenait près de 760 tonnes d’amiante]. Il est fortement contaminé à l’amiante et à d’autres produits toxiques. Par ailleurs, il a été utilisé lors d’essais nucléaires et les laboratoires spécialisés nous assurent qu’il est probablement encore contaminé par des éléments radioactifs », alerte Annie Thébaud-Mony, porte-parole de l’ONG Ban Asbestos France et membre de Shipbreaking Platform, un collectif d’associations qui travaille sur la question du démantèlement des navires. « Nous savons que l’inventaire n’a pas été fait de manière complète, dénonce-t-elle. Mais cela arrange la France, qui n’a aucun intérêt à ce que l’inventaire soit fait de manière exhaustive. Comme nous le montre l’empressement du Brésil, les deux pays souhaitent s’en débarrasser au plus vite. »

Si plusieurs entreprises du site d’Aliaga, à Izmir, ont obtenu une certification de conformité aux normes de l’Union européenne, l’initiative citoyenne « Assemblée pour la santé et sécurité au travail » nuance : « En Turquie, huit entreprises ont obtenu la certification de l’Union européenne. Sur le papier, tout est en conformité, mais, sur place, c’est très différent. La santé des travailleurs est en danger et ce n’est qu’un aspect d’une vaste pollution environnementale », dénonce Asli Odman, universitaire et membre du collectif. Pour l’avocat écologiste Arif Ali Cangi comme pour nombre de militants, la résolution de ce type de cas ne fait aucun doute : « Le démantèlement de bâtiments contaminés tels que le São-Paulo ne doit pas faire l’objet d’un commerce international. Chaque pays doit être responsable de la prise en charge des bâtiments qu’il a lui-même construits. »

Source : www.lemonde.fr/international/