Léon et Maurice Bonneff, deux frères journalistes très attachés aux combats de la classe ouvrière, au début du XXe siècle, moururent sur le front de la guerre de 1914-1918. Ils publièrent de nombreux articles dans la presse ouvrière de l’époque et nombre de publications dénonçant les conditions de travail des ouvriers de multiples professions. On leur doit de premiers écrits sur les risques au travail, les maladies nées d’expositions toxiques. Mais aussi des articles polémiques tel celui-ci dénonçant la vindicte patronale, publié dans l’Humanité du 15/11/1909 : « Ce qu’a osé écrire le Maître-Verrier de Brardville »

« Nous avons signalé ici le singulier état d’esprit, commun à nombre d’employeurs, qui leur fait considérer comme un indice de faiblesse les essais loyaux de négociation que les syndicats ouvriers leur proposent.

«  Certains ne répondent pas. D’autres raillent. Par leur attitude, ils semblent vouloir contraindre leurs salariés à l’emploi des méthodes violentes. La Voix des verriers nous apporte une preuve nouvelle de cette mentalité, dangereuse pour qui est affligé. Le journal des Travailleurs du Verre publie la courte lettre que le maître-verrier de Brardville [Dordogne], vient d’adresser à l’un de ses anciens ouvriers, victime des derniers conflits, qui demandait sa réintégration dans l’usine. Lisez et appréciez :

Monsieur. Ne voulant pas vous priver du plaisir de faire grève, il est préférable pour vous de rester sur le champ d’action et de combattre vaillamment auprès de vos camarades. Je ne désire pas introduire parmi mon personnel des verriers grévistes qui ne pourraient que donner le mauvais exemple à mes ouvriers. Salutations. Delas.

« Nous pensons avoir toujours évité le reproche d’aider à la démagogie […] Voici un ouvrier, un père de famille sans doute […] qui, à la veille de l’hiver, sollicite l’emploi dont il attend sa subsistance et celle des siens. On le lui refuse, en ajoutant à la rigueur du refus brutal, la méchanceté d’une raillerie particulièrement cruelle, puisqu’elle prétend le blesser dans l’idéal qu’il s’est donné, dans sa foi de militant, dans sa dignité d’homme libre qui avait pensé pouvoir librement disposer de sa personne. « Ah ! Mon gaillard, tu t’es cru en droit de faire la grève ? Nous te dénions, maintenant, celui de travailler pour vivre. Tu « combattais vaillamment auprès de tes camarades ? Eh ! Bien chôme à présent. Et voilà qui t’apprendra que sous le régime de l’asservissement économique, il n’est point de liberté. »

« Car c’est là le seul grief que l’on élève contre cet homme pour lui retirer son gagne pain. De faute professionnelle, il n’en est point question. Il a osé faire grève, il a osé revendiquer pour lui et pour ses camarades plus de bien être et plus de liberté ; il s’est servi de la seule arme « légale » qu’on lui accorde : il faut l’éliminer.

« Cette lettre n’est pas seulement la marque d’une rancune qui s’exerce à distance et se conserve en s’aiguisant ; ce n’est pas seulement la preuve d’un manque total de générosité, c’est aussi la manifestation d’une inhabileté insigne.

« Cette lettre est un levain de haine. Ceux qui l’ont lue ne l’oublient pas. Vous irez, à certains jours, leur parler de « modération » de « calme » et de « courtoisie ». Ils vous la jetteront à la figure.

« C’est d’une rare maladresse, c’est d’une folle imprudence que de mettre la haine au cœur des hommes qui n’ont plus rien à perdre, puisque vous refusez insolemment d’utiliser le seul bien dont ils disposent : la force de leurs bras. »

De nos jours, les fermetures d’entreprises florissantes – comme la verrerie de Givors qui dégageait une rentabilité de 15,5 % – pour une plus grande rentabilité encore, et la liquidation de milliers d’emplois constituent la même injustice révoltante, un siècle plus tard, contre le capitalisme.