C’est un arrêté de la Cour de Justice européenne qui vient remettre les pendules à l’heure. Non, les États membres ne peuvent pas déroger à l’interdiction des néonicotinoïdes, ces pesticides « tueurs d’abeilles », interdits depuis 2018 dans l’Union européenne. Or la France comptait bien, pour la troisième année consécutive, prolonger les dérogations d’utilisations pour la filière betterave.
La Cour de justice de l’Union européenne a publié un arrêté le 19 janvier dans lequel elle interdit formellement aux États membres de contourner l’interdiction des semences traitées aux néonicotinoïdes. Ces pesticides sont interdits en Europe depuis 2018 en raison de leur toxicité sur les pollinisateurs et l’ensemble du vivant, documentée par plus de 1 100 publications scientifiques accablantes analysées par un groupe de chercheurs indépendants.
La science a déjà démontré une large contamination de l’environnement aux néonicotinoïdes, rappelle Jean-Marc Bonmatin. Chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), chimiste et toxicologue spécialiste de ces molécules. Les seuls articles démontrant la non-dangerosité des produits ont été écrits soit par des scientifiques qui travaillent directement pour les entreprises qui vendent ces produits, soit ils sont payés par ces entreprises.

Ce n’est pas qu’un problème d’abeilles, c’est un problème d’environnement. Dès que l’on utilise ce pesticide, on en met largement partout. Dans le cas de la dérogation, c’est toute une région qui va être traitée. Du sud de Paris jusqu’à la Picardie. La biodiversité, ce ne sont pas que les abeilles. On oublie tous les autres pollinisateurs, tous les insectes autres, tous les invertébrés du sol, tous les invertébrés aquatiques, et tous ceux qui boivent de l’eau et mangent des fruits et des légumes.
Les mammifères sont aussi touchés. Une étude menée aux États-Unis sur des biches et leurs daims démontre que, s’ils boivent de l’eau contaminée aux néonicotinoïdes — à des teneurs que l’on retrouve dans la nature —, ils ont des problèmes biologiques graves qui menacent leur vie. Cela veut dire que chez le mammifère, il peut y avoir des effets sur la reproduction ou l’immunité.
Une autre étude analyse les pipis de nouveau-nés japonais de très faible poids ou qui ont des problèmes de taille de cerveau. Elle montre que, contrairement à ce qui a été dit, les néonicotinoïdes passent dans le cerveau, mais qu’en plus, ils passent la barrière placentaire. Donc, cela veut dire que le fœtus a été exposé pendant la grossesse et comme les néonicotinoïdes ont des effets sur le développement du cerveau et le système nerveux central, c’est extrêmement préoccupant.
L’alerte a d’abord été donnée en France, où les néonicotinoïdes ont été introduits dès 1991 de façon croissante, et vraiment en 1995-1996. Les apiculteurs, qui sont des observateurs privilégiés de la nature, ont lancé l’alerte dès 1996-1997.
Les betteraviers gravement touchés. En 2020, certaines cultures ont ainsi été ravagées par la jaunisse. Les parcelles les plus touchées ont perdu jusqu’à 40 % de leur rendement, mettant la filière à genoux. Sur France Info, Christophe Buisset, vice-président de la chambre d’agriculture de la Somme, s’insurge contre l’arrêt européen : « Comment voulez-vous aller protéger des betteraves contre des pucerons si on n’a pas d’insecticides ? », a-t-il commenté.
Justement, les betteraviers sont pris à leur propre piège. Les insectes prédateurs de pucerons, auxiliaires de l’agriculture, se répartissent au sein de nombreuses familles entomologiques. La plus connue est probablement celle des coccinelles qui appartiennent à l’ordre des coléoptères. Cet ordre comprend d’autres familles également prédatrices de pucerons. A côté des coléoptères, on compte également des syrphes, des chrysopes, des dermaptères, des hyménoptères et des hémiptères dont on évalue encore mal l’importance en tant que prédateurs. Mais tous ceux-là ont été tués par les néonicotinoïdes répandus par les betteraviers depuis des années !
Sources : www.novethic.fr/ (22/01/2023) ; https://reporterre.net/ (22/01/2023 ;