Le vendredi matin, au local de l’association des anciens verriers de Givors, le moment est propice pour recueillir des témoignages sur les conditions de travail qui leur étaient faites pendant des dizaines d’années… L’un de ces vendredis, ce fut l’occasion : Dédé, Jacky, Vincent, Gilles, Jean-Claude, Serge, Jo, Bruno, Diégo, etc. échangèrent leurs souvenirs.
Manu travaillait à l’atelier de moulerie, il pulvérisait du « Colmonoy », de l’oxyde métallique, après avoir chauffé les moules au rouge. Ensuite, il les passait au tour pour retoucher les lèvres et favoriser le glissement du verre. Cela dégageait beaucoup de fumée, et bien sûr, comme d’habitude il n’y avait pas d’aspiration… Il est tombé malade et est rapidement décédé. On n’a jamais su pourquoi. Il ne fut pas le seul dans son équipe, et de citer les noms des victimes… Y a-t-il eu une enquête, on n’en a jamais entendu parlé !
La plupart des toits de l’entreprise étaient encore en plaques d’amiante à la fermeture de l’entreprise, comme le montrent les photos prises à ce moment. C’est une boite spécialisée qui en a assuré le démontage. En fabrication, l’Eternit avait dû être remplacée car elle était fusée par les produits de traitements de surface. D’ailleurs un jeune ingénieur est passé à travers du toit et s’est tué en tombant sur la machine 84, juste avant l’arche. Il y a dû y avoir une enquête de police et de l’inspecteur du travail, mais on n’en a jamais rien su.
En fabrication, des tôle avaient été posées, mais il faut savoir qu’une poutrelle H de 200 mm a été corrodée en quatre ans… Le Titane bouffait tout. Et les bonhommes respiraient ça !
Les traitements de surface, les vernis étaient souvent constitués à partir de mélanges de produits. La meilleure efficacité contre les rayures des pots de yaourt était recherchée, sans s’intéresser aux réactions chimiques des produits pulvérisés sur les surfaces à haute température. De la santé des opérateurs, il n’en était pas question. D’ailleurs cette question était régulièrement posée au Comité d’hygiène et sécurité (CHSCT) par les délégués. Le médecin du travail se plaignait de ne pas avoir communication des fiches de sécurité des produits avant mise en fabrication. Les fournisseurs, d’ailleurs se garantissaient en indiquant sur certaines de ces fiches : « les produits ne devaient pas être mélangés et ne devaient pas être pulvérisés à des températures supérieures aux prescriptions », ce qui n’était ni vérifié ni respecté.
Et la Javel que l’on versait dans l’eau des ciseaux, destinée à lutter contre les moisissures du bac et les champignons qui s’y formaient, quels étaient les effets de sa transformation à la chaleur de la paraison (800°) ?
Au graissage des moules sur les chaînes de fabrication, les ouvriers étaient sans cesse sollicités pour faire des essais, afin de trouver la graisse la plus efficiente. Quels étaient les risques pour la santé ?
On a dit et écrit que la cheminée avait été ré-haussée pour donner satisfaction au voisinage qui protestait contre les fumées désagréables qui se dégageaient de la fabrication. Au-delà de la protection de l’environnement, la réalité est bien plus terre à terre… L’augmentation de la capacité de production du four imposait de ré-hausser la cheminée pour améliorer son tirage. La productivité et la rentabilité passaient bien avant la santé des voisins. Une cheminée plus haute, repoussait les effluves plus loin tout simplement. D’autres en profitaient…
N’oublions pas pour autant l’amiante, largement utilisée dans l’entreprise, pour se protéger de la chaleur. D’ailleurs la direction l’a reconnu bien volontiers, car à la fermeture est a distribué quelqques attestation individuelles d’expositions à ce cancérogène reconnu. Mais elle ne le reconnaît que jusqu’en 1996, conformément à la loi. Produit pratique : les trous des fours étaient bouchés à l’amiante manipulée à pleine main. Les plaques de pose, pour éviter les rayures du verre lors du glissement, étaient en amiante. Elles étaient percées et une soufflerie activée par en-dessous permettait le refroidissement. Pendant ce temps, les ouvriers en prenaient plein les poumons… En 2002, avant la fermeture il existait encore beaucoup de produits amiantés. Même des plaques de pose en amiante, puisque les ouvriers ont fait arrêter une ligne où la direction avait prévu d’en réinstaller pour solutionner le problème des rayures. On a remplacé l’amiante par de la « laine de roche », mais était-ce moins toxique pour les ouvriers ? N’oublions pas qu’un certain nombre de salariés, exposés à des hautes températures, étaient équipés, pour certaines opérations, de gants et de manteaux en amiante doublés d’aluminium à l’extérieur.