Durant l’Antiquité, le célèbre médecin Hippocrate (460-env. 370 av. J.-C.), qui a notamment permis de poser les fondements de la médecine moderne, repère la nocivité du plomb via les violentes coliques des ouvriers métallurgistes… Si les maladies liées au travail dans les mines sont progressivement documentées par les médecins au fil des siècles, l’ouvrage qui fera longtemps référence dans le domaine est attribué au médecin italien Bernardino Ramazzini (1633-1714). Son Traité des maladies des artisans (De morbis artificum diatriba, publié une première fois en 1700 puis réédité en 1713)… Ramazzini identifiait alors les deux principales causes des maladies préfigurant l’étiologie moderne : la mauvaise qualité des agents chimiques voire biologiques utilisés, et les mouvements violents, irréguliers, ou mauvaises situations des membres induites par le travail… Écoutons Hippocrate sur ce précepte : « Quand vous serez auprès du malade, il faut lui demander ce qu’il sent; quelle en est la cause, depuis combien de jours, s’il a le ventre relâché; quels sont les aliments dont il a fait usage. » […] mais qu’à ces questions il me soit permis d’ajouter la suivante : quel est le métier du malade ? »… rappelle Julien Vincent, maître de conférence en histoire des sciences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

D’autres se sont aussi intéressés aux risques professionnels, dans cette profession et dans d’autres. Léon et Maurice Bonneff ont publié en 1900 « Les métiers qui tuent, une enquête auprès des syndicats ouvriers sur les maladies professionnelles », disponible à la BNF (1). Déjà sont abordés des thèmes encore actuels : les poisons dans l’industrie ; l’empoisonnement par le plomb et ses composés, soulignant les risques pour « les femmes et les enfants victimes de la Céruse », montrant déjà le lien entre l’activité professionnelle et l’environnement ; apparaît (déjà!) la lutte ouvrière et parlementaire contre la Céruse ; les poussières et vapeurs de plomb avec l’intoxication des ouvriers en accumulateurs électriques ; l’intoxication des tisseuses au métier Jacquart et des ouvriers de filature ; l’intoxication des fondeurs typographes. L’empoisonnement par le mercure et ses composés des coupeurs de poil et des ouvriers chapeliers. L’empoisonnement par l’arsenic et ses composés des ouvriers fabriquant le vert de Schweinfurt (mélange de potasse bouillante, d’acide arsénieux porcelané en poudre et du vert de gris ; intoxication arsenicale dans l’industrie florale ; intoxication des ouvriers en papiers peints ; intoxication des mégissiers et tanneurs ; arsenicisme des naturalistes-taxidermistes. Empoisonnement par le sulfure de carbone des caoutchoutiers. Empoisonnement par les carbures d’hydrogène des teinturiers ; intoxication par la nitro-benzine ; intoxication par l’aniline.

Les pneumokonioses, affections pulmonaires provoquées par les poussières, faisaient déjà l’objet de l’analyse des risques des frères Bonneff, il y a plus de 120 ans. Ils soulignaient l’hécatombe des meuliers « phtisiques à 30 ans ». La phtisie et le saturnisme des céramistes, dénonçant au passage l’absence de mesures préservatrices des salariés ; les faïenciers, potiers et briquetiers étaient aussi touchés. Les maladies et intoxications des verriers ne leur avaient pas échappées, ni celles des brossiers, pas davantage celles des trieuses et des emballeurs de chiffons. Dans l’industrie textile et les nombreuses victimes de la tuberculose ; chez les égoutiers victimes de la tuberculose et des intoxications et leur taux de mortalité « pour être égoutier il ne faut pas avoir plus de 35 ans » ! Les auteurs en profitaient pour montrer la lutte des égoutiers, avec la fondation de leur syndicat dès 1887, conduisant à l’amélioration de leurs conditions de travail et salariales. La tuberculose et la contamination des travailleurs des blanchisseries ; la maladie du charbon communiquée aux ouvriers par les animaux vivants ou morts ; l’ankylostomiase duodénal chez les mineurs et les briquetiers communiqué aux mineurs français par les ouvriers lombards qui participèrent au percement du tunnel du Saint-Gothard (1879).

En préambule de leur publication Léon et Maurice Bonneff rappelaient « La loi sur les accidents du travail date du 9 avril 1898. Bien qu’incomplète, puisqu’elle prive d’indemnité certaines catégories de travailleurs et qu’elle prête à des interprétations diverses, cette loi marque un progrès dans notre législation ouvrière encore embryonnaire. Il fallut dix-neuf années pour la faire voter ; l’Allemagne, l’Autriche, la Norvège, l’Angleterre, le Danemark, l’Italie eurent leur loi avant nous. » Problème, cette loi ne prend pas en compte les maladies professionnelles. Malgré l’âpre combat mené par les syndicats ouvriers, il faudra attendre 1919 pour que le Sénat ratifie une loi où seuls le saturnisme et l’hydrargyrisme (intoxication au mercure) soient reconnus en tant que maladies professionnelles. Ces maladies seront reconnues par le tableau n°1 des maladies professionnelles du Régime général de la Sécurité sociale. Encore que les maladies liées au plomb ne seront reconnues les unes après les autres que péniblement, puisque la dernière mise à jour de ce tableau ne date… que d’octobre 2008 : 90 ans !

Il faut attendre la fin du XXe siècle pour voir se multiplier les mobilisations et les procédures judiciaires pour la reconnaissance de l’origine professionnelle des maladies des salariés, spécifiquement des ouvrières et ouvriers. Cependant, une étude menée par GenVerre (2), l’Association généalogique des verriers d’Europe, publiée en 2013 fait le point sur les « Maladies des verriers XIX-XXe siècles ». Pourtant, « L’industrie de la verrerie était déjà florissante bien avant cette époque, comme l’indique la charte des verriers du Spessart (Allemagne) en 1406, mais on trouvait déjà des verreries rudimentaires vers l’An Mil », précise un dépliant de l’association.

Autant dire que si les conditions de travail d’aujourd’hui sont sources d’accidents du travail et de maladies d’origine professionnelle, elles ne l’étaient sans doute pas moins dans le passé…

Sources : 1-Bibliothèque Nationale de France, https://gallica.bnf.fr/ ; 2-www.genverre.com