Dans une tribune publiée par Le Monde.fr, Jérôme Barthélemy, professeur de stratégie et management à l’ESSEC revient sur la dérive observée au niveau de l’appareil d’État de l’excès de cabinets de consultants privés pour orienter la politique de la France, avec l’exemple semblable employé en Angleterre.

Alors que le recours aux consultants dans les services publics a fait couler beaucoup d’encre, on n’a pas vraiment répondu à cette question cruciale. En France, des consultants ont notamment travaillé à l’amélioration du fonctionnement des hôpitaux. L’auteur pose la question : ces investissements ont-ils été rentables ? Et il apporte un éclairage : Si les données qui permettraient de répondre à cette question ne sont pas disponibles en France, elles existent en Angleterre.

Dans une étude à paraître, cinq chercheurs ont utilisé ces données pour étudier la relation entre les dépenses de conseil et l’efficience des hôpitaux anglais (A. J. Sturdy, I. Kirkpatrick, N. R. Alvarado, A. Blanco‐Oliver, G. Veronesi : « The management consultancy effect : Demand inflation and its consequences in the sourcing of external knowledge ». Public Administration, à paraître). L’efficience a été mesurée à l’aide d’un indicateur appelé « reference cost index » qui compare les coûts de réalisation d’une même prestation d’un hôpital à un autre.

L’étude montre qu’il existe une relation entre les dépenses de conseil et l’efficience des hôpitaux. Le problème est que cette relation est négative. Plus un hôpital fait appel à des consultants, plus son efficience diminue. Notons que cette relation ne provient pas du fait que les hôpitaux les moins performants sont plus susceptibles de faire appel à des consultants.

D’après les chercheurs, les coûts induits par les prestations de conseil réduiraient la capacité des hôpitaux à investir dans leurs propres compétences. Dans certains cas, les consultants ne semblent pas non plus suffisamment connaître le fonctionnement des hôpitaux pour améliorer leur performance. Ensuite les consultants s’installent dans le fromage… les consultants ont tendance à recommander aux hôpitaux d’externaliser les activités non médicales à des prestataires et de céder leurs locaux à des investisseurs privés. In fine, cela se matérialise par une hausse de leurs coûts. Les chercheurs ont également été surpris de constater que plus un hôpital a fait appel à des consultants, plus il continue à le faire… alors que nous venons de voir que cela ne lui permet pas d’améliorer sa performance.

Comme l’a écrit un journaliste du Financial Times : « Le recours aux consultants devient une habitude. Une fois qu’ils sont sur place, il est difficile de s’en débarrasser. » D’après certaines sources, le « repeat business » représenterait entre 50 et 70 % de l’activité des consultants. En conclusion, il existe un véritable paradoxe du conseil dans les services publics. Alors que l’impact des consultants n’est pas toujours bénéfique, les dépenses de conseil continuent d’augmenter.

Pour revenir à la France, devant l’inaction du Gouvernement, qui s’est contenté d’effets d’annonce, les sénateurs ont déposé le 21 juin une proposition de loi transpartisane face à l’influence croissante des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. Dans un courrier, ils demandaient à la Première ministre d’inscrire ce texte de loi à l’ordre du jour du Parlement dès le lendemain des élections législatives.

Cette proposition de loi transpartisane met en œuvre les recommandations du rapport de la commission d’enquête du Sénat (16 mars 2022), qui a mis en lumière le recours croissant et même tentaculaire aux consultants par l’État et ses opérateurs (plus d’un milliard d’euros en 2021, soit deux fois plus qu’en 2018). On attend des nouvelles…

https://www.lemonde.fr/ (26/006/2020) ; www.senat.fr/ (21/06/2022)