Pour les mêmes raisons que la femme de l’ouvrier tisseur doit abandonner son foyer et entrer « en tissage » ou « en filature », raisons qui se peuvent résumer d’une phrase : le salaire de l’homme, devenu insuffisant pour subvenir aux besoins de la famille doit être complété par celui de sa compagne – la femme travaille dans les verreries.

Elle y entre jeune : avant l’application de la loi sur le travail des femmes et des enfants, des gamines de dix ans étaient employées jour et nuit au dur travail du « portage à l’arche » des pièces de verre.

Aujourd’hui, on ne les rencontre dans les halls de soufflage que le jour seulement et elles sont censées avoir treize ans. A cet âge avancé, une petite fille, la loi le reconnaît, peut supporter sans danger la chaleur des fournaises et respirer l’atmosphère délétère des ateliers. C’est pitié que de voir ces malheureuses fillettes glissant, déguenillées, parmi les hommes à demi-nus et portant à l’arche, sur des perches de bois, les pièces qui vont recuire et refroidir. Elles courent, en sueur, l’œil brillant, les cheveux rares, les joues creuses et pâles de cette pâleur cendrée qui est le masque de la tuberculose. Quelles épouses, quelles mères seront ces pauvres femmes de demain ; si 1a verrerie ne les tue pas, quels enfants sortiront de leurs flancs !

Travail des enfants_brigade 1880_verrerie de Givors

Grandies, les jeunes filles sont employées à l’emballage, dans les verres noirs et blancs ; dans les verreries à vitre, elles portent les manchons à l’étendrie. Là, elles ne laissent pas seulement à l’usine leur jeunesse, leur santé, leur beauté flétries par l’haleine des ouvreaux ; elles y laissent parfois leur vie. En octobre 1905, une jeune fille occupée au portage des manchons à la verrerie d’En-Haut, à Aniche, transportait péniblement, dans ses bras, trois pièces de verre à l’étendrie.

Soudain, un des manchons se brise ; la jeune fille chancelle, couverte de sang, grièvement blessée au bras et à la poitrine. Nous aurons à revenir sur ces accidents, fréquents dans les verreries à vitre, et à les expliquer.

A Bayel (Aisne), des femmes portent à 1’arche et chauffent le verre. Elles exécutent l’exténuant travail des hommes sans en toucher le salaire. En verrerie elles gagnent généralement 2 francs et 2 fr. 25, souvent moins. Epinac détient le record de la parcimonie quant aux salaires des femmes : pour dix heures de travail, des ouvrières reçoivent 1 fr. 10 et 1 fr. 15. Les jeunes filles, pour la même durée de labeur, gagnent 0 fr. 95.

Dans la « bouteille », les porteuses font la navette entre les creusets et le fourneau à recuire. Agées de douze ans – souvent moins – elles effectuent ainsi, dans les ateliers, trente kilomètres par jour portant des charges de trois et cinq kilogrammes à chaque voyage, deux mille kilogrammes environ à la fin du jour. Elles vont chercher les bouteilles auprès du marbre où se fait la paraison ; les glettes de verre qui tombent de la pièce façonnée les brûlent quotidiennement.

On alloue aux porteuses trente-cinq sous pour dix heures de travail.

A Dorignies, près Douai, nous avons vu de jeunes femmes conduire aux magasins les bouteilles recuites. Elles emplissaient des wagonnets et les poussaient sur des rails. Chaque wagon pesait 100 kilogrammes. Ces femmes n’avaient pas le temps de prendre leurs repas.

Elles fournissent douze heures de travail, de six heures à six heures, une semaine le jour, une semaine la nuit, à la condition qu’elles aient au moins dix-huit ans. Elles gagnent 1 fr. 75 par jour et 2 francs par nuit. La « viande à feu » ne coûte pas cher.

Léon et Maurice Bonneff (La Vie tragique des Travailleurs, de la page 63 à la page 65)

(Source : gallica.bnf.fr / CODHOS / CEDIAS – Musée social)