Les juges d’instruction du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris ont annoncé aux collectivités et associations plaignantes leur intention de clore ce dossier ouvert en 2007 sans prononcer de mise en examen, l’orientant ainsi vers un possible non-lieu. Cet avis de fin d’information ouvre un délai permettant aux parties à la procédure de signifier leur intention de faire des observations, demander des actes, etc., avant les réquisitions du parquet de Paris et la décision finale des juges d’instruction.
En 2006, plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéenne avaient déposé plainte pour empoisonnement, mise en danger de la vie d’autrui et administration de substance nuisible. Depuis 2008, le pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris est chargé d’une information judiciaire, mais, en 2021, les juges d’instruction ont fait part à plusieurs parties civiles de leur analyse selon laquelle les faits seraient dans leur grande majorité prescrits.
Le chlordécone, un pesticide interdit en France en 1990 mais qui a continué à être autorisé dans les champs de bananes de Martinique et de Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu’en 1993, a provoqué une pollution importante et durable des deux îles. Plus de 90 % de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, et les populations antillaises présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde. Ces cancers de la prostate liés à l’exposition au chlordécone ont été reconnus comme maladie professionnelle en décembre, ouvrant la voie à l’indemnisation d’exploitants et ouvriers agricoles.
« La tournure que prend cette scandaleuse affaire est préoccupante car on s’achemine vers un déni de justice », dénoncent les avocats de l’association « Pour une écologie urbaine », Me Raphaël Constant, Corinne Boulogne Yang-Ting, Ernest Daninthe et Georges Louis Boutrin. « Après quinze ans d’instruction et en l’état actuel du droit en vigueur, aucune mise en examen n’a été prononcée ce qui laisse à craindre une forte probabilité d’une décision de non-lieu », s’inquiètent-ils.
La possible prescription de l’action publique avait déjà suscité indignation et colère dans les Antilles. Entre 5 000 et 15 000 Martiniquais avaient, par exemple, défilé dans les rues de Fort-de-France, fin février 2021, pour dénoncer la possible prescription de cette plainte.
« Pour nous, ce n’est pas terminé », a affirmé Harry Durimel, maire de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, et l’un des avocats historiques des victimes du chlordécone aux Antilles, le 6 avril, sur France Info. Il assure être prêt à mener l’affaire en appel, voire devant la Cour de cassation, si une ordonnance de non-lieu est finalement délivrée. « L’empoisonnement massif que le chlordécone provoque dans nos sols, dans nos corps et dans nos os, est une infraction continue. » Revenant sur les aides octroyées au cours de la présidence d’Emmanuel Macron, notamment dans le cadre du plan Chlordécone IV, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, dit souhaiter « que les parties civiles puissent user de toutes les voies de recours et d’appel dans la procédure judiciaire en cours ».
La population des îles reçoit cela comme une gifle cuisante. Défaite pour les victimes humaines et l’environnement, mais une aubaine inespérée pour les firmes agrochimiques. Désastre sanitaire, environnemental et – peut-être pire encore – judiciaire total. Comment s’étonner ensuite que flambe le niveau de ressentiment à l’égard des institutions de la République ? Cette violence institutionnelle est d’autant plus criminelle qu’elle est voulue, théorisée, orchestrée.
Sources : www.letelegramme.fr/ (05/04/2022) ; www.actu-environnement.com (06/04/2022)